Contes et légendes Inutopiennes n°16

Messages : 75 Date d'inscription : 01/08/2013

L

'océan de poussière se mêlait à la brise matinale fraîchement survenue. Dans cet endroit solennel qu'était le mausolée de Rukann, il faut bien avouer que ce spectacle n'était pas des plus rares. Le temps procédait lentement à son éternelle tâche, celle qui détruit, celle qui altère ce que l'on croyait inaltérable, celle qui fauche les cœurs de ceux qui, désormais, pleurent ceux et ce qu'ils n'ont plus.

Trônant en son centre, Rukann dormait sereinement. Point de ce sommeil qui, d'une nuit, rétablit nos forces et et notre énergie dans le but d'entamer pleinement le jour nouveau qui s'en suit. Bien au contraire, il vidait le pauvre roi suranné de toutes ses forces, le contraignant à une hibernation onirique, aux limites même de la mort. Ce profond sopor était le funeste tribut qui lui était réclamé en échange de la protection de son peuple.

"Ô Dieu Malneus, déité des illusions et de l’irréel, créateur de ce qui ne peut exister et père absolu de l'imaginaire et du rêve, je t'implore. Libère mon époux de ce lourd fardeau, il a déjà tellement souffert... Un roi ne devrait pas avoir à protéger un empire qu'il ne pourra jamais gouverner..."
Tels étaient les sanglots de son épouse qui s'égosillait muettement en ces sempiternelles suppliques, jours après jours depuis maintenant bien des années. Mais elle le savait... elle savait que si le Dieu Malneus levait sa protection, il n'en faudrait pas plus pour voir apparaître des hordes entières de brigands, pirates et même des peuples voisins Inutopiens, tous en quête des richesses du bien trop petit royaume de Wildelle. Pleurer leur impuissance, c'était là l'éternel fardeau que la reine portait en son cœur. Tels des époux maudits, la vie de ce peuple dépendait de la souffrance de sa lignée royale.

En retrait, à quelques pas de sa mère, leur progéniture se tenait droite. Âgé de tout juste seize années, il contemplait fixement le corps inanimé pour lequel ce lieu séculaire avait perduré. Lorsque le temps emportera les vestiges de son défunt père, ce sera à son tour d'effectuer l'ultime sacrifice. Le sacrifice de toute une vie... Il a appris à ne plus pleurer, à ne plus se laisser dérouter par le chagrin. Il a déjà accepté cette fatalité, comme si "Damoclès" était sa propre définition du mot "Destin".
La peau ridée, le teint vieillissant, le vieux roi contemplait de ses yeux fermés la volée de corbeaux qui s'enfuyait, dans une nuée de battements d'ailes presque militaires, vers le climat plus chaleureux du Sud d'Inutopia. Bientôt, le doucereux linceul du trépas s'apposera sur son âme et emportera avec lui ses souvenirs, ses rêves, ses espoirs et ses chagrins...

Chers lecteurs Inutopiens, de quelque rang que vous soyez, si aujourd'hui encore l'existence du royaume de Wildelle ne vous a toujours pas été révélée, alors... sachez le.. la malédiction de leur lignée royale doit, sans nul doute, poursuivre encore et toujours son triste chemin...

N°16